Chargeur ou transporteur, la question de la prescription dans l'exécution des contrats de transporteurs routiers est l'angoisse de tout gestionnaire, de tout juriste ou...avocat. Il est toujours bon de faire le point de la situation en la matière.
Le texte de base en la matière est l'article L 133-6 du Code de Commerce, qui soumet à une prescription annale toutes les actions dérivant du contrat de transport.
Le texte de base en la matière est l'article L 133-6 du Code de Commerce, qui soumet à une prescription annale toutes les actions dérivant du contrat de transport.
I - Champ d'application
La jurisprudence assimile au contrat de transport le contrat de commission de transport, mais non le contrat de location de véhicule avec conducteur, qui reste soumis à la prescription quinquennale.
Toutes les actions auxquelles le contrat de transport peut donner lieu sont en principe soumises à la prescription annale. C'est notamment le cas des actions en responsabilité pour perte, avarie ou retard ou de l'action en paiement du prix. La demande en réparation du préjudice commercial subi par le commissionnaire en raison de la perte de sa clientèle suite aux défaillances du transporteur est soumise à la prescription. Il en va de même de l'action en réparation des dommages causés par la marchandise au véhicule et de la restitution de palettes.
L'action directe de la victime contre l'assureur du transporteur est soumise à la prescription annale et non à la prescription biennale du droit des assurances. L'hypothèse est celle où des marchandises sont endommagées et où l'expéditeur ou le destinataire assignent l'assureur. La jurisprudence considère que l'action directe de la victime contre l'assureur trouve son fondement dans le droit de la victime à réparation de son préjudice et se prescrit dans le même délai que l'action de la victime contre le responsable.
Dans le cas où le transporteur doit procéder à l'encaissement des sommes à la livraison, l'action en paiement de ces sommes dirigée contre le transporteur par l'expéditeur est également soumise à la prescription annale. En revanche, n'est pas soumis à la prescription annale le paiement des frais de douanes lorsque le transporteur a procédé au dédouanement de la marchandise. On considère en effet que les formalités de douane sont accomplies en vertu d'un mandat spécifique, distinct du contrat de transport.
De même, la jurisprudence estime que l'action en responsabilité fondée sur la rupture brutale des relations commerciales n'est pas soumise à la prescription annale. Cette solution s'applique aussi bien lorsque les parties sont liées par une pluralité de contrats que lorsqu'elles sont liées par un contrat unique.
A noter également que la prescription annale ne s'applique pas en cas de compte courant entre les parties.
Pareillement, la jurisprudence considère que la compensation légale peut être invoquée postérieurement au délai de prescription. En effet, la compensation légale opère de plein droit au moment où ses conditions sont réunies.
Dans le cas d'un transport international, la jurisprudence est divisée sur l'application de la prescription de l'article L 133-6 du Code de Commerce à l'action en paiement. La cour de cassation considère que si l'article L 132-8 du Code de Commerce, concernant l'action directe en paiement, s'applique au contrat de transport international, la prescription reste soumise à l'article 32 de la CMR. La cour d'appel de Paris considère que l'article 32 ne régit pas l'action directe en paiement, qui n'est pas prévue par la CMR et que celle-ci est régie uniquement par l'article L 133-6 du Code de Commerce.
II - Calcul du délai
Le point de départ de la prescription est, en cas de perte totale, du jour où la remise de la marchandise aurait dû être effectuée et, dans les autres cas, du jour où la marchandise aura été remise ou offerte au destinataire. La jurisprudence a précisé que la marchandise n'était ni remise ni offerte tant que le voiturier exerçait sur elle son droit de rétention, de sorte que la prescription n'avait pas commencé de courir. La cour de cassation a ainsi cassé un arrêt d'appel qui considérait que l'exercice du droit de rétention était une offre de la marchandise sous condition d'un paiement.
Egalement, en présence d'un contrat à exécution successive comportant plusieurs livraisons, la prescription ne commence à courir, pour l'ensemble des obligations, qu'à compter du jour où la dernière livraison a été effectuée et non à compter de chacune des livraisons. Toutefois, s'il s'agit d'un contrat cadre comportant des contrats d'application, la prescription doit courir pour chaque contrat d'application à compter de la livraison correspondante.
Selon la jurisprudence, la prescription se calcule de date à date. Ainsi, pour une livraison le 27 octobre 2003, la prescription est écoulée le 27 octobre 2004 à minuit. Si la prescription expire un jour férié ou chômé, la question se pose de savoir si l'expiration de la prescription n'est pas reportée au premier jour ouvrable suivant. La jurisprudence est contradictoire. La chambre commerciale de la cour de cassation n'y est toutefois pas favorable et un arrêt de la cour d'appel de Paris a décidé qu'il n'y avait pas prolongation.
Il est à noter que le délai de prescription peut être aménagé conventionnellement, l'article L 133-6 du Code de Commerce n'étant pas d'ordre public. Néanmoins, le délai ne saurait être inférieur à un an ni supérieur à dix ans.
III- Interruption de la prescription
La prescription est tout d'abord interrompue par la reconnaissance du droit du réclamant, conformément à l'article 2240 du Code Civil.
C'est pour cette raison qu'une reconnaissance de responsabilité du transporteur interrompt la prescription de l'action dirigée contre lui. Attention, il ne suffit pas que le transporteur reconnaisse le dommage. Une reconnaissance de responsabilité est nécessaire.
Ainsi, un avis de souffrance ou un avis de litige remis par le transporteur à l'expéditeur n'interrompt pas la prescription. A noter qu'une reconnaissance de responsabilité postérieure à l'expiration du délai de prescription vaut renonciation à se prévaloir de la prescription. A été considéré comme une reconnaissance de responsabilité une lettre selon laquelle « le litige a été remis à notre assurance et nous vous rembourserons le montant des dommages dès que nous aurons été payés par notre assurance ». Par contre, la lettre d'un expert amiable donnant son accord pour la réparation la moins chère n'interrompt par la prescription.
Pour cette raison également, la compensation intervenue pendant le délai de prescription, interrompt la prescription. L'hypothèse est classique. Le voiturier n'indemnise pas ou partiellement un dommage et l'expéditeur procède à la compensation entre le prix du transport et le coût des avaries. Dans ce cas, le voiturier peut réclamer paiement dans le délai d'un an après la compensation, celle-ci valant reconnaissance de son droit et interrompant la prescription.
La prescription est interrompue par une citation en justice, même en référé. C'est le cas par exemple d'une demande en référé provision. Cependant, l'interruption est réputée non avenue si la demande est rejetée, sauf en cas d'incompétence du juge. En référé, il faut donc distinguer deux situations : soit les conditions d'ouverture du référé ne sont pas réunies, par exemple, la créance est sérieusement contestable, et l'action en référé n'interrompt pas la prescription. Soit la demande est portée devant un juge incompétent et interrompt également la prescription.
Une assignation en référé aux fins d'expertise interrompt la prescription.
A noter qu'interrompt également la prescription une plainte avec constitution de partie civile, même si elle est faite contre une personne non dénommée.
Une simple requête en injonction de payer, ou une ordonnance d'injonction de payer n'interrompent pas la prescription. En revanche, la signification de l'ordonnance d'injonction de payer interrompt la prescription.
Et enfin, attention, contrairement aux idées reçues, la prescription n'est pas interrompue par une simple mise en demeure, ni par la désignation conventionnelle ou sur requête d'un expert.
IV - Suspension de la prescription
La prescription ne court pas contre celui qui ne peut pas agir. La jurisprudence fait parfois application de cette règle en décidant que la prescription ne court pas lorsqu'un transporteur donne une information inexacte à l'expéditeur, l'informant de la livraison des colis alors qu'ils étaient en réalité perdus.
La prescription ne court pas non plus en cas de fraude ou d'infidélité. Contrairement à la lettre du texte, qui ne vise que les actions contre le voiturier, la jurisprudence considère que la prescription des actions contre l'expéditeur est également suspendue en cas de fraude ou d'infidélité de sa part. Ainsi, dans l'affaire Gefco, la cour d'appel de Versailles considère que le fait de ne pas appliquer les dispositions relatives à l'indexation du prix du transport sur le coût du gazole constitue une fraude de l'expéditeur.
La fraude ou l'infidélité du transporteur consiste dans la dissimulation, par une volonté malveillante, du préjudice causé.
La prescription est également suspendue dans le cas où le contrat comporte une clause de négociation préalable à un procès. La jurisprudence considère que la négociation doit être mis en oeuvre et son absence constitue une fin de non recevoir à l'exercice de l'action en justice.
Depuis la loi du 17 juin 2008, la prescription est suspendue à compter du jour où les parties décident de recourir à la conciliation. Le point de départ de la suspension est soit le jour de la première réunion, soit le jour de l'accord écrit des parties. Il est à noter que le texte n'envisage pas de négociation en l'absence de réunion ou d'accord écrit, comme se faisant par exemple par courrier. Il est donc préférable d'officialiser en toute hypothèse les négociations. Le délai de prescription recommence à courir lorsque l'une des parties déclare que la négociation est terminée, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois.
La prescription est également suspendue dans le cas où le juge accorde une mesure d'instruction. C'est le cas, par exemple des mesures d'expertises prévues par l'article L 133-4 du Code de Commerce. Il convient de distinguer selon que la mesure est accordée sur demande en référé ou sur requête. Si elle fait l'objet d'une demande en référé, la prescription est déjà interrompue par la demande en référé. Cependant, avant la loi du 17 juin 2008, la prescription recommençait à courir à compter du moment où le juge avait désigné un technicien pour exécuter la mesure. Désormais, le délai de prescription est suspendu par la décision qui ordonne la mesure, jusqu'à l'exécution de celle-ci. Un nouveau délai d'un an recommencera de courir à compter de l'exécution de la mesure.
Si la mesure fait l'objet d'une requête, la simple requête ne suffit pas à interrompre le délai de prescription. Ce n'est que l'ordonnance qui fait droit à la mesure qui suspend la prescription, ce qui suppose qu'elle soit rendue avant que la prescription ne soit acquise. Une fois la mesure exécutée, la prescription recommence de courir pour une durée minimale de six mois.
En matière de transport international, il faut rappeler que, contrairement au droit français, la prescription est suspendue par une réclamation faite au transporteur, jusqu'à ce qu'il repousse la réclamation par écrit et qu'il restitue les pièces. La jurisprudence a jugé qu'en revanche une réclamation du transporteur à l'expéditeur ne suspendait pas la prescription.
A noter pour conclure que l'interversion de prescription, qui substituait la prescription de droit commun à la prescription annale en cas de reconnaissance de responsabilité assortie d'un engagement de payer a, selon la doctrine, disparu avec la loi du 17 juin 2008. L'article 2231 du Code Civil dispose en effet désormais que l'interruption de prescription fait courir un nouveau délai de même durée que l'ancien, de sorte qu'il ne saurait y avoir, après interruption, un délai supérieur.